Mercredi 23 septembre.

On nous a demandé hier soir de nous pousser un peu, histoire de faire de la place pour un "big boat". J'ai eu le sentiment de perdre un peu peu de l'authenticité grecque au profit de la camora de Naples où règne l'argent. Comme si cela ne suffisait pas d'être les derniers de la flotte, punis au coin du quai, nous avons respiré une odeur d'égout toute la nuit. Arrive le "big boat", un immense catamaran, majestueux comme l'indique son nom : "Black Swann". Mais au petit matin, l'immense yacht "Vive la vie" lui fait concurrence de l'autre coté du quai, avec ses 60 mètres de long. A coté, Black Swann ressemble à un catamaran de plage. J'exagère sûrement mais mon petit sourire cynique n'avait, lui, rien d'exagéré.

Nous quittons Pylos, en grande partie bâtie par les français, après la bataille de Navarin (XIXème siiècle). D'ailleurs sur la place, un mémorial est dédié aux 3 amiraux (Codrington, De Rigny, et Von Heyden) qui détruisirent les forces navales turques dans le Péloponnèse et libérèrent la Grèce.


Nous faisons route vers Méthoni. Le port est bordé par un grand fort et une plage de sable. Ce fort vénitien, assez important, contrôlait la route autour du Péloponnèse et était surnommé "l'œil de la république". Nous mouillons l'ancre dans ce sympathique cadre. Pas seulement sympathique, mais aussi nécessaire car Damien doit se procurer du gasoil : rejoindre le rivage avec l'annexe, puis aller à pied à la station pour remplir notre bidon.Le sud du Péloponnèse est assez désertique et nous ne voulons pas prendre le risque de tomber en rade de gasoil. Damien fait choux blanc : la station est fermée. Screugneugneu !!! La seconde (et dernière) station sera la bonne. Ouf...


Une petite salade grecque au mouillage et nous voilà repartis pour Finakounda. Ce petit port de pêche paraît bien typique, avec des maisons bien colorées. La création d'un centre de sports nautiques (nous avons effectivement rarement vu des catamarans de sport et planches à voile comme ici) et une construction frénétique d'hôtels semble l'avoir un peu déstabilisé. Cela donne un cadre superbe sur la façade de la mer, mais un coté un peu sinistré quelques rues à l'intérieur.


Demain, une longue étape est prévue(62 MN). Il est possible que nous arrivions trop tard pour publier photos et articles, donc, pas d'inquiétude à se faire....


Notre amis Hubert nous a fait le récit par mail du passage du cyclone, qui a conduit à la presque destruction de son bel Amphitrite43, NoaNoa. Avec son accord, nous publions sa triste expérience, et quelques photos de NoaNOa (copie du mail ci-dessous)


Noa Noa au mauvais endroit au mauvais moment

Noa Noa exprime le parfum enivrant des îles du Pacifique. C’est aussi un sentiment d’éternité pour les polynésiens et c’est le titre que Gauguin avait donné à son seul (et modeste) ouvrage littéraire. C’est le nom que j’avais choisi pour ce voilier que j’ai restauré pendant trois ans, avec l’idée d’aller à nouveau croiser dans ces eaux lointaines. Mettre tant d’ardeur et de passion à le restaurer lui avait donné une âme. Et le vieux bateau abandonné sur un quai de Saint Mandrier était redevenu un bien beau voilier. Destination la Grèce pour une mise en jambes. Ou plutôt une mise en voiles.


Après avoir, l’an passé, parcouru la route classique via la Corse, la Sardaigne, les magnifiques îles Pontines, le sud de l’Italie et les îles ioniennes du nord, nous projetions de poursuivre vers le sud en contournant le Péloponnèse.


Mercredi 16 septembre. Nous sommes à Kefalonia, grande île en face d’Ithaque, patrie d’Ulysse. Un cyclone méditerranéen, nouveau phénomène apparu avec le réchauffement climatique se forme au sud de la Calabre. Les anglais leur donne le nom de Medicane, contraction de mediterranean hurricane. Pas trop de crainte pour nous : il se déplace vers l’est, plus au sud et nous sommes plutôt inquiets pour nos amis Agnes et Damien qui nous précèdent et se trouvent sur la route du cyclone à l’ouest du Péloponnèse. Jeudi 17 nous constatons que le cyclone a changé de direction et qu’il va atteindre nos côtes dans la soirée mais les prévisions ne sont pas alarmantes : 45 kts au plus fort. Quelques bateaux ont toutefois quitté Agia Efemia pour se réfugier ailleurs mais partir en soirée alors que le vent souffle déjà assez fort, nous préférons rester, d’autant plus que Cricri s’est blessée en descendant de Noa Noa. Avec les équipages voisins et l’aide précieuse de Max et Clara, jeune couple d’allemands, nous prenons toutes les dispositions possibles pour sécuriser nos amarrages. Nous déroulons les 70m de chaîne de Noa Noa, doublons les amarres, frappons des gardes et enclenchons le moteur en marche avant à 1500 tours pour bien rester à l’écart du quai si le vent vient à souffler très fort. Et ça souffle, très très fort et se renforce encore et encore pendant la nuit. Il n’y a plus que le bruit du vent qui domine tout. Au petit matin du vendredi 18 il y a une accalmie, nous sommes dans l’œil du cyclone. Nous avions pris une chambre, comme d’autres, estimant ne pouvoir en faire davantage pour sécuriser notre bateau. Je me précipite au port mais une rivière de boue occupe l’espace de la rue. J’y parviens tout de même en m’agrippant aux poteaux et autres éléments en saillie. À peine 100 m parcourus en 15 minutes, pour découvrir l’horreur : les bateaux échoués et fracassés au fond du port, d’autres coulés. Celui d’un anglais que j’estimais le mieux protégé était au fond de l’eau et son propriétaire qui avait tenu à rester à bord a dû être secouru. Je vois toutefois un mât encore bien droit et en me rapprochant constate que c’est celui de Noa Noa. Il a tenu le coup !!! malheureusement le moteur a calé dans la tempête et le bateau est venu frapper contre le quai. Une brèche s’est ouverte à l’arrière au niveau de notre couchette et le mât d’artimon est tombé. Rien d’alarmant mais être dans l’œil du cyclone présage une suite... qui n’a pas tardé.


Le second épisode a été encore plus violent, même si la direction du vent était plus favorable. Les derniers bulletins météo captés prévoyaient force 11 à 12, soit ouragan. Cricri et moi avons passé notre temps à éponger dans le noir (plus d’électricité) l’eau qui s’infiltrait partout dans notre chambre avec le bruit terrifiant de la tempête. J’étais certain que Noa Noa, déjà blessé, n’aurait pu survivre à cette violence et que j’allais le trouver coulé comme les autres. À l’aube du samedi 19, fouetté par la pluie et contournant le pâté de maisons par le haut pour éviter la rivière de boue, nous nous dirigeons vers l’emplacement de Noa Noa. Des tractopelles s’activent avec énergie pour éviter que la boue ne se répande partout dans les maisons. On dit boue, qui sonne comme dégoût, mais cette masse rougeâtre qui se jette avec fureur dans le port est de la belle et bonne terre lessivée par la pluie, cette belle et bonne terre dans laquelle les oliviers centenaires puisent leur énergie. Tout est dévasté, les arbres arrachés, le mobilier urbain détruit. L’eau brune du port, le ciel noir, les mâts de bateaux qui émergent de ci de là. Quelle triste vision ! Je ne vois plus le mât de Noa Noa et m’apprête à découvrir son épave coulée, comme je l’avais supposé. Eh bien non ! Il flotte encore ! Mais il n’est pas beau à voir. Son grand mât est également tombé, s’est planté tête la première dans la vase et a empêché le bateau de bouger. Par contre la brèche constatée à l’arrière est devenue béante, environ 4 m2. Un matelas et tout un enchevêtrement de morceaux de bois, de métal et de fibre polyester sortent de la coque et font penser à des entrailles.


Le soleil revenu nous sommes montés à bord. Descendant dans le carré on avait le sentiment que rien ne s’était produit. La bouffe dans le frigo, les objets familiers à leur place. Comme il n’y avait plus d’électricité sur l’île nous y avons même rechargé nos téléphones et avons démarré le moteur. Le contraste avec la cabine arrière dévastée est saisissant. ....Ces prochains jours, après avoir contacté l’assureur, nous irons voir s’il peut être remorqué vers un chantier naval pour y être réparé, sans y croire.


Ce sont des problèmes de riches et nous serions bien ingrats et égoïstes de nous lamenter bruyamment sur notre sort alors que les habitants, après avoir subi le confinement et le manque à gagner dûs à la petite bestiole, sont à nouveau accablés par ce sale coup. Ils le subissent avec dignité et expriment même de la compassion pour nous et le valeureux Noa Noa. Au diable les « gestes barrière », nous avons retrouvé d’autres gestes, fraternels et sincères, sans un mot.


Il paraît que les épreuves renforcent....


Hubert et Christine